Si l'intelligence de l'aigle est donnée au pèlerin de l'absolu, il comprend que le rite n'est qu'un pis-aller, un rappel convenu et lourd, d'une vérité toute simple: que chaque moment est sacré, que chaque instant est le souffle de Dieu.
En trahissant les fonctions génériques, qui rendent profane le passage du temps en le liant aux objets convoités et en le banalisant dans le conforme, le moi retrouve dans n'importe quel contexte la présence divine, et n'a donc plus besoin de s'embarrasser de procédures rituelles. Il y verra d'ailleurs, un jour ou l'autre, avant de les abandonner, qu'elles étaient investies de pouvoir magique, chargées de rassurer sur l'obtention de faveurs, rendues ainsi moins aléatoires, juridiquement établies en quelque sorte.
Toute forme de rite dépassé, il ne demeure alors que des pratiques pragmatiques, en général reliées à la gestion impeccable du corps, sur lesquelles on peut compter (sans renchérir) pour des résultats concrets, tandis que les simagrées émotionnelles et intellectuelles qui sacralisent l'instant sur mesure, sont vues comme des contrefaçons, des manières ancestrales de se donner le change sur une consécration qui n'en est pas une, mais qui peut passer pour telle, décorée de colifichets conceptuels et de rêveries héréditaires.
La vraie bhakti peut elle aussi se passer de tout decorum, éviter toute cérémonie, et s'exercer n'importe où et n'importe quand, sans autre calendrier que celui qui suit l'occurrence des événements eux-mêmes. Certains éprouvent intensément le besoin de s'en remettre à Dieu dans les moments d'exaltation, comme pour les couronner par cette reconnaissance de leur origine dans une offrande consciente pleine de gratitude, d'autres se rapprochent du Divin, sans tricher, sans rien demander, dans des moments difficiles, qu'ils acceptent, tout en s'arc-boutant sur le projet évolutif qui permet d'endurer les pires souffrances.
Enfin, l'on peut en permanence sentir le souffle divin dans tous les événements de l'existence, si tous les pouvoirs planétaires ont été nettoyés de leurs survivances dynamiques, l'aspect brut et générique de leur manifestation, à cheval entre le subconscient et le mental.
NATARAJAN
source : Cosmophilosophie